Les définitions du courage
Au sens étymologique, être courageux c’est se montrer brave, fort, viril. Le courage est la vertu cardinale que les grecs et les latins considéraient comme le socle des autres vertus juste après la sagesse. Des philosophes nombreux se sont penchés sur le concept et en ont donné leur définition, entre autres Platon pour lequel le courage est la qualité de celui qui peut dominer ses affects, résister à la crainte, à la douleur, au désir et au plaisir, ou Aristote qui en reconnait l’ancrage dans le passionnel mais affirme sa nature rationnelle ou encore Descartes qui voit sa source dans le cœur, dans la chaleur du cœur. Il est question de maitrise mais aussi de réunir le cœur et l’esprit, l’affect et l’intelligence.
De quel courage parle-t-on? Le courage du héros militaire, celui qui remplit sa mission sans faiblir? Celui du terroriste ? Celui du résistant qui, torturé, ne parle pas ? Celui qui, comme Camus, au nom de sa vérité accepte d’être seul face aux autres ?
Il semble nécessaire de distinguer l’acte de bravoure commis dans l’illusion, l’aveuglement et l’inconscience, celui qui est dominé par l’emprise et l’acte qui est, comme le dit Platon, résistance à la peur, au désir, à la douleur, concrétisé par le pas qui fait basculer dans l’action, envers et contre tous les risques et toutes les peurs.
Les conditions du courage ou de quoi le courage est il l’expression ?
Prenons la question dans l’autre sens : le manque de courage parle d’une résistance, il n’y a pas accord entre les parties du monde intérieur. Le moi peut vouloir mais l’individu ne passe pas à l’acte. Le moi voudrait être fidèle à ce qu’il croit être ou veut être, mais la personne dans son entièreté n’est pas là. Une partie résiste. Cela peut être la peur de l’enfant intérieur qu’il faudrait rassurer. L’adulte est alors pris dans l’enfant, dans l’indifférencié, il ne peut pas advenir à lui-même, naitre, faire le deuil du matriciel. Mais cela peut être aussi une résistance du soi qui ne se reconnait pas dans ce projet déconnecté de la totalité, qui de ce fait se dissocie du moi, laissé sans énergie, sans force active, coupé du vivant en lui. Le moi se soumet alors au soi, l'individu doit faire un deuil, deuil de son idéal projeté, acceptation d’être qui il est vraiment.
L’intrépidité est à distinguer du courage. Dans le premier cas, l’acte est basé sur du pulsionnel, de l’instinctuel, il n’est donc qu’inconscience et témérité. Les passages à l’acte extrêmes peuvent nous montrer à quel point leurs auteurs sont pris dans l’illusion de la toute puissance, dans une telle inflation qu’ils rejoignent Dieu, et sortent du réel, le moi est dépassé. Il peut y avoir un fantasme du contrôle de sa vie et de sa mort qui fascine. Dans le courage, le sujet est relié à l’archétype, dans l’intrépidité, celui-ci le domine, l’envahi sans accès à la conscience, sans distanciation possible.
Par opposition, il est dit que ce sont souvent des personnes plutôt effacées qui se sont révélées capables d’actes héroïques. De fait, il m’a été rapporté par des résistants de la seconde guerre mondiale combien ils avaient étés surpris par les actes courageux de personnes « en retrait » qu'ils n'auraient pas attendus à cet endroit. Pourquoi ? La Persona ne s’impose pas dans ces personnalités en intériorité et il leur est peut-être plus facile qu’à d'autres d’avoir accès à leur « profondeur », à leur totalité ? Besoin d’advenir à eux-mêmes dans une circonstance extrême, de renaitre ? Besoin de dépasser leurs défenses ou leurs peurs ? Ou tout simplement une évidence « ca allait de soi » ?
C’est quand « l’enfant divin », «représentant la poussée la plus forte et la plus inévitable de l’être, celle qui consiste à se réaliser soi-même »*, symbolisant le soi, est en relation étroite avec le moi, alignés alors dans l’axe moi-soi, que la personne trouve son authenticité, les ressources nécessaires au courage, au dépassement de sa condition individuelle, pour se relier à l’archétype.
Dans l’axe moi-soi, la personne est reliée à son enfant divin, elle se sauve car elle se relie à son humanité. Le courage s’enracine dans le lien. Sauver l’autre c’est se sauver soi et l’humain en soi. A travers l’archétype le sujet se relie à une dimension instinctuelle et aussi à une dimension spirituelle qui le dépasse, le courage emmène la personne vers plus grand qu’elle-même, la dimension de l’archétype du soi.
Le courage peut donc être un témoin. Quand il y a dissociation (moi/soi, psyché/corps, sentiment/pensée) il ne peut pas y avoir de mise en action du projet dans des conditions écologiques pour le sujet. Le « véritable » acte de courage d’un individu témoigne de sa totalité, de qui il est pleinement, du sens de sa vie, de son authenticité.
Le courage parle de cohésion intérieure, d’alignement entre les valeurs, de sens, d’identité, de responsabilité, de notre place dans le monde, alignement entre soi et moi. « Ca allait de soi » disent certains, pour lesquels le courage est devenu une attitude, une position éthique intériorisées qui ne se discutent plus, qui font partie d’eux-mêmes, qui s’imposent. A contrario, Le manque de courage dit quelque chose du conflit intérieur inconscient, de l’image de soi décalée par rapport à l’identité profonde, d’un ancrage dépressif ou mélancolique avec une dépréciation narcissique.
Le courage en analyse
Si l’acte courageux nous rapproche des Autres, s’il s’enracine dans le lien, lien à Soi, lien à l’Autre, n’est-ce pas ce qui caractérise aussi le lien entre l’analysant et l’analyste qui lui aussi dépasse les personnes et les relie à l’humain en elles ? Qu’est ce que le courage en analyse ? Quand l’inconscient de l’analysant amène à la conscience un contenu douloureux , acceptant de s’y confronter, de le mettre en mots c’est à dire de le faire exister, de l’inscrire dans sa réalité, c’est difficile et courageux. Une patiente me disait, « je ne peux pas dire, mettre des mots car cela deviendrait vrai et ce serait trop difficile ». Les rapports avec l’inconscient, la confrontation à son ombre sont des actes de courage. Accepter comme Jung de prendre tous les risques y compris de la folie pour se confronter à sa vérité est un acte courageux.
Pour l’analyste, le courage peut être d’accepter de sortir du cadre protecteur. Je me souviens d’une expérience : une patiente, jeune et fragile que je suivais depuis deux ans environ, un jour sans prévenir ne vient pas à notre rendez-vous. Elle n’avait jamais manifesté ce comportement, dans sa rigueur voire rigidité habituelles. Je m’interroge, je m’inquiète. Je me réfère au cadre, me dis que je dois lui laisser sa liberté, son autonomie et j’attends. Puis je pense qu’elle a peut être besoin d’aide, que je dois lui faire un signe. Je lui adresse un message lui demandant ce qui se passe. La relation avec elle, à partir de là n’a plus été la même. Elle a pu me dire qu’elle avait senti mon inquiétude, j’ai compris qu’elle avait alors eu la preuve qu’elle comptait pour moi, que le lien véritable entre nous existait (preuve dont elle avait sans doute besoin compte tenu de son histoire). J’ai eu le sentiment de sortir de la loi et en ai ressenti de la culpabilité, risque pour moi de perdre en légitimité mais au fond je savais avoir agi en humanité et au retour en séance, j’ai pu vérifier que j’avais eu raison. Oser écouter son inconscient d’analyste et le suivre, quitte à sortir du cadre qu’il a lui-même fixé est peut-être de cette nature, celle du courage.
Souvenir personnel
Un souvenir de mon enfance me revient : j’étais une petite fille timide, introvertie et au fond décidée. Je devais avoir une huitaine d’années. Jusque-là, dans une école primaire à classe unique qui s’adressait à des enfants de tous âges (entre cinq et quatorze ans), je subissais la volonté des « grands », d’une grande fille en particulier qui passait les recréations à me faire sauter sur ses genoux en marchant alors que je ne le voulais pas. Un jour d’hiver, un garçon plus âgé que moi et surtout plus fort m’envoie en plein visage une boule de neige dans laquelle il avait intégré de petits cailloux, avec la seule volonté de faire mal. Ma réaction ce jour-là a été de me dresser sur la pointe des pieds et de lui donner une gifle de toutes mes forces sans tenir compte des risques pris, intuitivement connus pourtant. A peine ce geste accompli, je me trouvais dans un état de stupeur et de terreur mais aussi de victoire. Stupeur d’avoir osé, terreur devant ce qui allait suivre surement, victoire d'avoir su poser un acte que je sentais juste. A ce moment-là, la maitresse a tapé dans ses mains pour signifier la fin de la récréation et chacun est rentré dans son rang. Je me suis demandée ce qui s’était passé, un ange gardien était-il venu à mon secours ? La maitresse, spectatrice de la scène avait-elle voulu mei sauver des représailles violentes qui me menaçaient ? Cet exemple illustre pour moi l’acte poussé par le Soi, l’acte courageux comme émanation d’une force intérieure exprimant l’identité profonde. Le moi n’a eu qu’à exécuter le geste. Cela a été un acte fondateur pour moi. Il était donc possible de dire non, de se faire respecter.
Pour finir, je dirais que s’il y a des actes courageux qui impressionnent par leur grandeur, la valeur d’un acte ne peut s’évaluer au fond que par rapport au sujet qui agit, à ce que cela a animé chez lui, supposé en lui et qui lui appartient. Tous ces actes courageux, par le dépassement de soi qu’ils supposent, sont un pas vers plus d’humanité et rejoignent l’œuvre humaine collective. Il s’agit d’une démarche, d’un pas qui fait basculer ailleurs. Le courage fait de la vie un parcours plein, il permet à l’Homme de s’éprouver, de se réaliser, d’avancer sur son chemin d’individuation, il embellit la vie et témoigne du sens qu’elle a pour soi.
*Introduction à l’essence de la mythologie. L’enfant divin, la jeune fille divine, Paris, Payot, 2005, p158/ Dictionnaire Jung, Aimé Agnel, Paris, ellipses, 2008, p151.
Martine Gauthier