1/Qu’apporte Jung de vraiment novateur et même d’avant-gardiste ?
2/ En quoi la recherche d’un modèle de fonctionnement groupal est-elle particulièrement essentielle mais également spécifiquement difficile pour les psychothérapeutes ?
3 /Qu’est-ce que la sociocratie (ou gouvernance dynamique) ?
4/Quel est le choix fait par le Collège de Psychologie Analytique ; ou quel est le fil rouge qu’il s’agit de repérer entre le partage clinique en atelier clinique, au sein des groupes de travail et la réflexion clinico-théorique réunissant tous les membres en séminaire ?
1/ Qu’apporte Jung de vraiment novateur et même d’avant-gardiste ?
Jung était un empiriste qui a collectionné des faits durant toute sa vie. Il s’inscrit à l’évidence dans la modernité actuelle tant des liens apparaissent entre la Psychologie Analytique et les neuro-sciences ou comme avec l’EMDR par exemple.
En 1914, Jung rompt avec Freud, maître de la Psychanalyse. Deux ans auparavant, il avait écrit l’ouvrage qui mit définitivement fin à leur lien d’allégeance. L’étude des visions de Miss Miller lui avait procuré les matériaux nécessaires pour écrire Métamorphoses de l’Ame et ses symboles. Freud utilisant le terme de Psychanalyse, Jung, pour s’en démarquer, avança Psychologie Analytique.
La Psychologie Analytique propose d’identifier les phénomènes de l’inconscient ainsi que le dialogue qui s’établit entre le conscient et l’inconscient à travers notre imagination, active, les synchronicités, l’analyses des rêves, par exemple. Le projet est de parvenir à nous « individuer », c’est-à-dire devenir pleinement nous-mêmes.
Selon Jung, l’inconscient est premier. La conscience va en émerger peu à peu. Le Moi n’est que le centre de la conscience et ne peut pas se confondre avec la totalité de la psyché.
Parmi quelques différences notables, on pourrait citer l’approche du rêve. Selon Freud, le rêve doit permettre de faire ressortir le symptôme d’une névrose alors que pour Jung, le rêve contient justement ce qui guérit la névrose. Le rêve est porteur d’une fonction prospective. Pour Freud, l’inconscient est essentiellement un lieu de refoulement, principalement des pulsions sexuelles. Jung s’inspira d’Henri Bergson pour proposer de considérer l’élan vital, la libido comme chargés d’une dimension beaucoup plus large que la libido sexuelle telle que définie par Freud.
Une autre grande différence que l’on peut souligner relève du dispositif-même des deux approches thérapeutiques. Pour Freud, au transfert du patient sur le thérapeute répond le contre transfert de ce dernier sur son patient. Pour Jung, la relation thérapeutique qui s’établit entre thérapeute et patient est de l’ordre d’une plongée dans un bain mercuriel, un vasum clausum- comme image de l’inconscient- dans lequel les deux psychismes en présence vont être écoutés et vont pouvoir ainsi dialoguer. Cette plongée demande éthique, rigueur et humilité. Il va s’agir de soutenir le dépassement du conflit qui va alors apparaître pour que, dans une perspective téléologique, un processus de transformation advienne.
En 1946, Jung écrivit au docteur Dan der Hoop : « Je ne puis qu’espérer et souhaiter que personne ne sera ‘’jungien‘‘. Je ne défends pas de doctrine, mais décris des faits et propose certaines affirmations que je tiens pour susceptibles d’être discutées... Je laisse à chacun la liberté de venir à bout des faits à sa manière car je revendique également cette liberté ».
2/En quoi la recherche d’un modèle de fonctionnement groupal est-il particulièrement essentiel mais également difficile pour les psychothérapeutes ?
Un travail groupal de psychothérapeutes soulève plusieurs niveaux de difficultés. Les premières sont assez classiquement celles que l’on peut relever dans tous les groupes. La réunion de personnes met en œuvre le psychisme de chacun des individus en présence. Or, la psyché est morcelable, constituée d’éléments distinguables, autonomes, qui convergent ou divergent entre eux. Ces éléments peuvent s’emparer du moi, comme un leader informel peut s’emparer d’un groupe. Il s’agit alors d’un modèle psychique schizoïde. Par contre, dans l’organisation pyramidale d’un groupe, le risque majeur est le rejet s’inscrivant dans un modèle psychique paranoïde.
Les exemples de violences institutionnelles que l’on peut relever dans bon nombre de groupes de psychothérapeutes sont édifiants. Toute la palette de modes de défenses psychiques s’y déploie alors. La persona du psychothérapeute peut, si elle se rigidifie, entrer dans des distorsions pathologiques, faire écran à l’essentiel, à savoir à ce qui permet qu’elle demeure « centrée et dans le juste ».
Au Collège de Psychologie Analytique, nous avons tous vécu l’expérience, le voyage intérieur d’une relation transférentielle analytique. Nous avons, en principe, repéré suffisamment de nos propres parts d’ombre pour ne pas les projeter sur nos patients et pour avancer peu à peu sur le chemin de l’individuation. Avoir fait le choix d’une analyse jungienne nous a confrontés à de puissants archétypes dont nos animus et nos anima ainsi qu’à notre ombre. Un tel voyage engage très fortement sur le plan éthique tant l’inconscient est un réservoir inextinguible du meilleur comme du pire !
Avoir choisi la voie de la Psychologie Analytique permet probablement moins qu’ailleurs de se rattraper dans la sphère du cérébral et des concepts. Suivre la voie ouverte par Jung, c’est se retrouver aux prises avec la libido, l’élan vital.
C’est très souvent l’identification à un point de vue théorique qui amène les tensions dans une assemblée de psychothérapeutes. Il s’agit souvent d’une identification émotionnelle, parfois même sensorielle qui correspond à une expérience faite, à un vécu non élaboré mais qui va être mise en mots tout à trac ! Comme cette expérience n’est alors pas formulée comme personnelle elle risque fort d’apparaître comme universelle. Cela va bien évidemment se heurter à l’expérience des autres.
De plus, il n’y a jamais une question que l’on peut résumer. Il y a toujours un champ qui est inexploré. Ce qui n’a pas été mis en lumière va inévitablement commencer à se manifester. Selon Jung, il est alors nécessaire de laisser la place à l’ombre à côté de la lumière.
Dans le cheminement groupal qui va se chercher, on pourrait avancer l’hypothèse que la question de nos fonctions psychologiques (pensée, sentiment, intuition, sensation), auxquelles s’ajoutent les attitudes introvertie ou extravertie, serait fondamentale. Elle serait peut-être sous-estimée dans son pouvoir agissant chez chacun de nous comme dans la dynamique de groupe. Notre référence à une position éthique varie, en fait, d’une personne à l’autre selon nos fonctions. Ainsi, nos positions éthiques dépendraient, pour une part importante, de notre équation typologique
En outre, si une personne arrive à avancer suffisamment sur le chemin de l’individuation, elle fait l’expérience d’une désidentification partielle de la conscience d’avec le Moi qui la porte. Ainsi, la conscience pourra se déplacer un tout petit peu sur l’axe Moi-Soi. C’est alors ce qui permettra la position de témoin de ce qui arrive. Se désidentifier d’avec soi-même, ce n’est pas un mouvement naturel et c’est difficile à maintenir. D’où la tentation infiltrée d’ombre projetée de s’interpeler les uns les autres.
Nous avons recherché un modèle nous permettant de vivre l’expérience du groupe ; d’un groupe pouvant endiguer au mieux les débordements psychiques tout en ouvrant l’accès à la créativité.
3/Qu’est-ce que la sociocratie (ou gouvernance dynamique) ?
Le mot sociocratie a été inventé par Auguste Comte. Ses racines viennent du latin societas (société) et du grec krátos (autorité) : la gouvernance du socios, c'est-à-dire des personnes liées par des relations significatives, différant du dêmos (démocratie), masse d'individus ne partageant que quelques valeurs communes. La sociocratie utilise certaines techniques mises au point par son concepteur, Gerard Edinburg (né en 1933) qui fondent son originalité, notamment l'élection sans candidat, et la prise de décision par consentement. La sociocratie concerne des individus réunis par des objectifs communs. Le mot a été aussi employé par le sociologue américain Lester Frank Ward qui l'a probablement repris d'Auguste Comte. Aux États-Unis, la sociocratie y est plutôt appelée gouvernance dynamique (Dynamic Governance).
La sociocratie est un mode de gouvernance partagée qui permet à un groupe, quelle que soit sa taille, de fonctionner efficacement selon un mode auto-organisé caractérisé par des prises de décision distribuées sur l'ensemble des membres. Son fondement moderne est issu des théories systémiques et date de 1970. La sociocratie s'appuie sur la liberté et la co-responsabilisation des participants. Cette approche vise à atteindre ensemble un objectif partagé, dans le respect des personnes, en préservant la diversité des points de vue et des apports de chacun.
Les décisions collectives sont adoptées au sein d'un groupe lorsqu’elles ne rencontrent plus aucune objection argumentée d'aucun membre ou lorsque tous les membres ont donné leur consentement assorti éventuellement de réserves. Les élections se font sans candidats, charge à chacun de nommer les personnes susceptibles d’occuper un poste à pouvoir.
Afin de contribuer à l’accueil, et à l’intégration de la violence individuelle et collective, après s’y être confronté, la sociocratie, aussi appelée gouvernance dynamique, s’inscrit dans un cadre théorique et méthodologique.
Comme nous prêtons attention à la vie groupale associative, et souhaitons, désirons en prendre soin, nous avons choisi la gouvernance dynamique qui nous apparaît comme une réponse suffisamment bonne – à valider par l’expérience- pour faire vivre la relation entre la vie consciente et la vie inconsciente du groupe.
Assemblés en cercle dans chacun des lieux de travail et de partage, les membres du Collège de Psychologie Analytique sont placés sur le même pied d’égalité dans l’expression personnelle et les prises de décisions collectives. Ces dernières se prennent par consentement. Cette méthode requiert dans un premier temps d’exprimer les accords et les désaccords. Elle permet ensuite de décider avec les accords et les réserves de chacun des membres.
Le consentement par son processus d’élaboration et de prise de conscience permet de réunir et non de fusionner. De cette manière, pour qu’il y ait consentement il est nécessaire de quitter l’identification à l’une des positions. Dans la relation groupale et institutionnelle, cela permet d’avoir conscience que les autres sont porteurs d’une position personnelle liée à leur expérience personnelle. Cette position personnelle n’est pas idéologique et extrémiste mais expérientielle. Il ne s’agit pas d’exclure ni une personne ni un aspect de soi-même mais de trouver la possibilité de moduler la relation dans son entièreté.
Pour que l’ensemble fonctionne, la dynamique interne de cette configuration doit favoriser une participation impliquée dans les finalités sociales d’un groupe : tout le monde est d’accord pour fonctionner d’une certaine manière sur une période et chacun doit argumenter ses points de vue de manière très concrète dans des espaces dédiés, aucun membre ne devant être au-dessus d’un autre.
Ainsi les personnes élues ont pour tâches de favoriser le fonctionnement de cette dynamique par la préparation du travail sur le cercle tout comme de veiller et de construire à la réalisation des décisions prises par le groupe. Elles ne sont pas dans une position hiérarchique mais exercent des fonctions pour le groupe qui les a élues sans candidats.
Le groupe se réunit donc en cercle et ce cercle est opérant avec des fonctions tournantes qui sont réparties : animation, garde du temps, distribution de la parole, prise de notes, scrutation d’ambiance.
4/Quel est le choix fait par Collège de Psychologie Analytique ; ou quel est le fil rouge qu’il s’agit de repérer entre le partage clinique en atelier clinique, au sein des groupes de travail et la réflexion clinico-théorique réunissant tous les membres en séminaire ?
Il y a une spécificité jungienne à mettre en avant un esprit de compagnonnage. Il s’agit d’envisager le groupe comme un instrument de formation et de développement de chaque personne dans son individuation. Avec les rencontres d’Ascona, Jung l’avait fait expérimenter à des gens de tous horizons. Dans les échanges qui y prenaient place, c’est la diversité des confrontations, des expressions, des registres : psychothérapie, philosophie, spiritualité, sciences…etc…qui ouvrait à un partage respectueux, éthique et créatif.
Dans certains groupes, une référence théorique va prévaloir. On va donc chercher à reproduire chez les nouveaux arrivants, cette référence plutôt que de leur poser la question : Quelle est votre expérience de vie ? Et à partir de votre expérience de vie, pourquoi nous rencontrez-vous ? Ce sont deux façons de faire différentes. Il ne s’agit pas de la même loi. Pour certains, la référence est extérieure. La loi y est alors une conception du Père. Dans l’approche jungienne, la fonction du Père est tenue par celui qui pose la question : qu’est-ce que vous expérimentez ? Il s’agit ainsi de laisser la place à l’ombre, pas simplement à la lumière. Cela implique l’acceptation du jeu des opposés dans la conception du Soi et avec la possibilité que le Soi ait une expression multiple et non pas une expression qui ne serait que catégorielle. Il n’y a pas de modèle puisque chacun d’entre nous est sur son chemin d’individuation. Le seul modèle serait le mouvement de vie qui pousse à s’individualiser puis à s’individuer.
Au Collège de Psychologie Analytique, il faut avoir eu un fort intérêt pour cette culture-là et avoir faire le voyage intérieur d’une analyse jungienne à un moment donné de son parcours.
Nous avons, avant tout, voulu nous y inscrire dans une synergie clinique. Le partage de notre clinique est notre premier choix et notre engagement. Au sein des ateliers cliniques, le dispositif mis en œuvre permet d’être au plus près du travail avec l’inconscient. La plongée dans le bain mercuriel s’active en superposant plusieurs cercles : d’abord, le psychothérapeute parlant d’un patient, d’une situation clinique, d’une relation thérapeutique analytique. Ensuite, chaque membre qui a été dans l’écoute d’une présentation. Enfin, le psychothérapeute qui en a eu les retours. L’atelier clinique, par l’originalité de son dispositif de fonctionnement, évite au maximum les dérives égotiques, les débordements émotionnels. La castration narcissique qui y est à l’œuvre, aide à travailler avec les matériaux psychiques des inconscients sollicités.
Un fil rouge traverse toutes nos activités au sein du Collège de Psychologie Analytique.
L’expérience de la confrontation avec l’inconscient telle que Jung l’a envisagée nous a paru nécessiter un contenant structurant et sécurisant pour pouvoir être abordée en groupe. Il nous semble que la gouvernance dynamique répond au mieux à cette nécessité. Le travail en cercles se déploie ainsi à tous les niveaux : des ateliers cliniques aux séminaires et en passant par des travaux conceptuels. Au Collège de Psychologie Analytique, rien n’est proposé de façon cloisonnée mais il s’agit plutôt de s’inscrire dans la dynamique énergétique d’une spirale.
La spirale exprime l’évolution d’une force. C’est un motif ouvert et inscrit dans une dynamique où sont réunis tout à la fois, développement, progrès et continuité cyclique. La spirale rejoint le symbolisme de la roue, du cercle avec, en outre, sa double signification d’involution et d’évolution.
On retrouve des motifs de spirale dans le monde entier ; au travers de symbolismes onirique, artistique ou comme dans les contes ou la mythologie.
De plus, la spirale évoque le processus d’individuation dans la mesure où le cheminement intérieur de chacun repasse régulièrement par le même point mais à un degré d’initiation, et donc de transformation à chaque fois différent.
L’atelier clinique s’avère être la première approche de ce que propose le Collège de Psychologie Analytique. Au bout de deux ans de ce partage en cercle, il peut être envisagé de passer à l’étape suivante, c’est-à-dire faire la demande de devenir pleinement membre et ainsi de participer aux trois séminaires annuels.
Les groupes de travail et de lecture s’inscrivent en sus et viennent compléter selon les choix et les besoins de chacun.
La symbolique de la spirale et sa mise en œuvre amènent les membres du Collège de Psychologie Analytique à progresser dans leurs cheminements personnels d’individuation ainsi que dans leurs évolutions de psychothérapeutes /psychanalystes.
Pascale Mauchant-Renoult,
avec le concours de l'ensemble des membres
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